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Nicole Fabre, Le triangle brisé. Trois psychothérapies d’enfants par le RED, Payot, 1973

 

 

 

Réflexions liminaires

C’est l’histoire de trois cures d’enfants cherchant à réunir des pôles parentaux, séparés par la vie - mère morte ou père parti - mais pourtant indispensables à leur désir. Il leur faudra tout d’abord accepter la réalité, puis résoudre le complexe œdipien sans l’absent(e), pour trouver leur juste place dans la vie.

 

I. Les trois cures

Etienne : 4 années et 40 séances (12+8+6+26 séances). Ce fut une cure non exemplaire car il y eut beaucoup d’interruptions : c’est ce qui est intéressant. Le problème criant du début s’est progressivement enrichi des autres problèmes qu’il masquait, mais essentiels dans l’élaboration de la personnalité. La cure part donc de la périphérie des symptômes vers des zones de plus en plus profondes où se joue la dynamique du sujet. Il y a d’abord l’appel au père absent, puis l’agressivité contre une mère vécue comme bissexuée puisqu’elle joue tous les rôles. Celle-ci devient alors désirée lors de l’œdipe, sans que le père puisse intervenir, libérant désir et culpabilité en même temps. Réapparait alors le visage du père à côté de la mère, permettant à l’enfant de retrouver sa propre place.

Guillaume : 1 année de cure. Le père est parti depuis 6 ans, la mère le vit très mal, entre agressivité, espoir qu’il revienne et dépression quand elle réalise qu’il ne reviendra pas. Guillaume n’a aucun souvenir avant 7 ans, soit le moment du départ du père. La cure conduit à la recherche de soi-même par une première étape de régression vers des images archaïques, voire intra-utérines, car ce qui est vécu dans l’obscurité et le déchirement, c’est la rupture des parents, et par conséquent son identité dans ce monde où il ne sait plus où se situer. Puis, la cure permet la reviviscence des images du triangle initial avant ses 7 ans (beaucoup d’images de sport, significatives de l’affrontement). Dans cette recherche des images de ses parents avant la rupture, il parvient alors à se retrouver lui-même. Il finit par reconstituer la lutte parentale et à s’y positionner en se donnant un rôle d’arbitre, retrouvant parallèlement une place dans la réalité de la famille et à l’école.

Dominique : 1 année de cure soit 23 séances : sa mère est morte quand il avait 13 ans. Il vit des difficultés scolaires, de l’agressivité contre son père. La cure part des images maternelles régressives et frustrantes, puis des images paternelles fortement insécurisantes d’un père très exigeant et peu valorisant. Toutes les images de la relation sont conflictuelles, mais l’enfant est dans la passivité. Puis, apparait la transition vers l’agressivité grâce à une intervention de la thérapeute suggérant de sortir de la situation d’échec symbolique : images de compétition avec le père, de castration et refus d’une sexualité masculine. Peut merger ensuite une nouvelle image de la mère, en même temps ambivalente, agressive mais passive/mutilée et à laquelle il s’identifie. Enfin, il retrouve ses capacités d’action, en accord avec l’imago paternelle, pour se confirmer dans son identité masculine.

 

II. Rêve Eveillé Dirigé et psychothérapie de l’enfant

L’auteure rappelle qu’il faut adapter les conditions du RED aux enfants, à leurs moyens d’expression, en particulier à une verbalisation encore limitée. Dessin, peinture, figurines, pâte à modeler, sont mis à disposition à l’arrivée et fabriqués aussi par le thérapeute, comme une invitation à dire tout ce qui ne peut pas se dire ailleurs. Quand il jette sur le papier une image qu’il porte en lui, l’enfant reste souvent en lien avec une réalité que la névrose lui retire (fantasmatiquement).

Lors des premiers contacts, on précise à l’enfant l’objet de la venue, c’est-à-dire ce qu’est le thérapeute, afin qu’il sache sur quel terrain se situent ses séances : il vient pour lui, à la recherche de lui-même. Ensuite, le thérapeute rejoint l’enfant là où il est, par tout un tas de moyens : assis par terre, fabrication de la peinture à sa demande, etc., signifiant ainsi d’aller vers la relation d’équivalence idéale dont parle Gilbert Maurey. Il pourra y avoir bien sûr une forme de dépendance de l’enfant (demander toujours un point de départ à l’imaginaire), acceptée par le thérapeute car c’est nécessaire pour aider l’enfant à régresser jusqu’à des situations préœdipiennes. Mais il aura ensuite à cœur de l’amener à en sortir, symboliquement d’abord, puis dans la réalité.

La proposition de langage symbolique partagé (toujours proposé, jamais imposé) est faite à l’enfant immédiatement : ensemble, on peut se raconter des histoires inventées, rêver tout éveillé, construire, peindre ou dessiner. Par le RED, on se situe dans le registre fantasmatique, mais où l’enfant n’est plus seul face à ce qui pose problème. Le thérapeute lui donne d’une part l’autorisation de formuler ses désirs et pulsions, ailleurs interdits ; d’autre part, il permet, par son attitude, de nouvelles mobilisations et des évolutions autres que celles advenues dans la réalité. Par cette démarche, on invite l’enfant à sortir de l’intérieur de lui un univers et des personnages qui sont le lieu des projections de ses affects. Sitôt jeté cet univers hors de lui-même, le thérapeute l’y renvoie par le récit, avec mission d’y vivre et de s’y plonger. Evidemment, le thérapeute accompagne l’enfant afin qu’il vive ce qui se joue. Par le travail à l’intérieur du rêve, celui-ci est ainsi renvoyé à sa création dont on lui propose d’user, et de trouver ainsi de nouveaux moyens de sortir de la situation névrotique.

Dans la cure, le mouvement est toujours le même : on part de ce qui a motivé la cure (symptôme) vers ce qui est sous-jacent. Ce sont des levers de rideau successifs vers des scènes de plus en plus profondes et des époques de plus en plus archaïques. En même temps, la personnalité s’affirme, se structure, intégrant l’expérience intérieure avec l’ici et maintenant de la cure, comme l’aujourd’hui de la vie quotidienne. Se remet en mouvement ce que la névrose avait figé.

 

          Dynamique de la fonction signifiante dans une cure par le RED

Il y a peu d’interventions interprétatives de la part du thérapeute. Et pourtant, la cure RED suit un cours bien défini, qu’on découvre au fur et à mesure, comme un fil caché qui se déroule à notre insu et se révèle progressivement. « Mais sans cet accompagnement, sans les clefs offertes, sans l’expression objective de ce qu’il avait jusqu’ici vécu sans se l’être jamais reformulé, en un mot sans le jeu du psychothérapeute catalyseur, l’enfant n’aurait pu accomplir ce chemin libérateur ». Cela suppose que le thérapeute prend place dans la dynamique de la cure et qu’il reconnaît à chaque séance une signification partielle, reliée à la signifiance de l’ensemble. Cela implique qu’il reconnaît, sous les travestis, tous les désirs de l’enfant et leurs évolutions.

 

          Evolution de l’image et mouvement de la cure

Sous l’image du dessin ou de la sculpture court la dynamique profonde de l’enfant. Mais à travers l’évolution de l’image, le mouvement qui l’anime, il se passe autre chose qu’une modification du matériel symbolique : c’est aussi une véritable mise en mouvement du sujet, c’est le renversement des barrières sous le réveil des sources profondes et enfouies peu à peu émergées, revécues et achevées différemment.

 

Il y a donc plusieurs niveaux de sens :

1. Le langage réel de l’enfant sous le langage symbolique du dessin, qui permet un décryptage.

2. Alors, le thérapeute peut s’interroger de l’intérieur, émotionnellement, et s’aventurer dans la lecture du langage parallèle et sous-jacent. On arrive donc à une démarche infiniment plus vivante que la simple traduction : on peut entrer dans le mouvement même de la cure, suivre l’évolution du signifié sous-jacent au signifiant (le récit), voire contribuer à son accès par différentes suggestions. Ici, le thérapeute, tout en suivant le mouvement du patient, est aussi un adjuvant qui, ayant compris ce qui se joue en dessous du récit, l’accompagne comme l’adulte qu’il n’a pas eu, par des conseils, des silences, etc., c’est-à-dire par une attitude qui permet que se rejoue et s’achève autrement la scène névrotique.

 

          Mouvement de la cure et satisfaction du désir

Chaque image du RED devient le lieu de projection de l’univers fantasmatique, de l’univers des désirs que le sujet porte en lui, et il se permet, avec le thérapeute, de vivre ces désirs ailleurs interdits. Le thérapeute les accueille et les autorise, permettant une évolution dynamique des éléments du dessin. Or, la force d’agir dans le RED annonce la capacité d’action dans la vie, car ce qui a été vécu en RED modifie le sujet (et non pas une quelconque interprétation). Finalement, de désirs exprimés en désirs satisfaits sur le plan symbolique, puis de désirs satisfaits en dépassement du désir vers d’autres désirs plus adultes, s’opère la maturation de la personnalité.

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